Il n’est pas donné de faire corps. Le corps n’est pas non
plus donné. Quand on parle du don de la vie, cette vie que l’on perd ou qui est
reprise, le corps se fait rapidement l’objet d’une logique comptable et
gestionnaire. Suffirait-il d’écouter le corps, de le comprendre, de répondre à
ses besoins, de compenser ses incapacités, de le maîtriser, de parler en son
nom ou d’en revendiquer la singularité ? Toutes ces manœuvres ne
visent-elles pas au contraire à l’évacuer ou à mettre la main dessus, à le
faire taire pour de bon, à se débarrasser de l’angoisse que tout corps procure
par sa seule présence ? À l’heure de la contrainte de transparence et de
la mondialisation du traitement de l’information, le corps continue de faire
scandale : il échappe à toute maîtrise totalitaire, il résiste à la
virtualisation, il est le lieu mystérieux de la vie dans son combat avec la
mort, et enfin, il n’est corps que d’être habité par un énigmatique désir. Le
corps est du désir qui prend forme, qui ne cesse de prendre forme. Faire corps
ne se fait que dans la création d’un champ qu’ouvrent toutes les dialectiques
de la séparation. Le corps est ainsi parlant d’être parlé et parlé d’être
parlant. Il ne peut exister sans altérité, sans de l’Autre, l’Autre dont il a
besoin pour faire fonctionner les dialectiques qui le font corps humain, corps
de culture, corps en lien avec d’autres corps. Seul l’inconscient quand il s’en
fait littoral lui permet de ne jamais perdre son Autre, ni de s’y perdre.